Pour ce deuxième jour de résidence dans l’ERIC-Cyberbase de Berthe, le programme est chargé pour nos résidents. Après la présentation par Laurent Ciavatti et notre première prise de contact avec l’équipe d’animateurs, il est temps pour nous de rentrer dans le vif du sujet.
Un contexte social particulier et des problématiques hyper-locales
Tout l’enjeu de notre démarche orientée sur la participation et la collaboration multi-acteurs pour réfléchir aux devenir des ERIC-Cyberbase, doit passer par une implication forte des utilisateurs des services de la CBB. Or, le contexte particulier de cette résidence rend difficile cette approche.
Edifiée à la fin des années 50 dans le sillage de la reconstruction d’après-guerre et de l’activité navale, la cité de Berthe a vécu jusqu’au déclin de celle-ci, à la fin des années 70, en bonne harmonie. Le départ des classes moyennes vers les quartiers sud de la ville, le chômage, la concentration de populations d’origine immigrée ont progressivement paupérisé la cité.
Emploi, mixité sociale, insertion, développement économique sont des préoccupations très fortes ici. Les usagers, avec lesquels nous avons pu discuter succintement, sont empêtrés dans leurs soucis et ont beaucoup de mal à prendre du recul pour s’impliquer dans le processus. Ils ne voient pas directement le lien entre notre démarche, la CBB et leurs attentes au quotidien. Comment les impliquer, leur permettre de s’exterioriser et d’imaginer un futur pour leur Cyberbase qui serait aussi transposable pour les autres CBB de la Région ? Voilà notre première priorité.
Les résidents sont dans la place
Cette deuxième journée est placée sous le signe de la visibilité de la résidence et de l’échange avec les animateurs du lieu. Cette étape est un maillon essentiel vers la création d’un climat confiance avec les publics, acteurs indispensables aux réflexions futures et à la co-construction de projets « bottom-up »
La visibilité de la résidence est donc au coeur de nos préoccupation. Nos designers installent une signalétique pour informer les usagers de la résidence en cours. Ils réalisent un marquage au sol, des panneaux d’affichages, des banderoles et une présentation de l’équipe invitant les usagers à échanger avec nous.
L’espace choisi pour installer notre « QG » est délibéremment au coeur de la CBB au milieu des usagers. La transparence est le maître-mot de notre démarche, un rétro-planning est installé sur le mur ainsi qu’un « mur à idées » accessible à tous.
Petits portraits « made in Berthe »
Face à la difficulté des usagers de se « livrer », nous décidons d’aborder les différentes problématiques du lieu avec les animateurs de la CBB à qui Corinne Ielh demande de se raconter.
Plus que de simples animateurs, Chéhrazed, Mohamed, Germinal, Kais et Momo comme on les appelle ici, sont des figures bien connues du quartier et en connaissent parfaitement les rouages et les habitants.
Entre les aides à la création d’entreprise, les formations multimédias à destination des enfants, personnes agées et demandeurs d’emplois ou le montage de projets autour du numérique, ils écoutent, conseillent et « connectent » les gens entre eux. Sans leur soutien « complice », cette résidence serait une mission très difficile voire impossible à mener.
Petits extraits choisis…
Chéhrazed, spécialiste emploi à la Cyberbase
« J’ai fait une licence pro en Management des technologies, et j’ai été en stage ici, à Berthe dès la création de la Cyberbase. Du coup, j’ai participé au montage du projet et puis j’ai été embauchée dans la foulée par l’IFAPE. »
« On a passé une convention avec le Pôle Emploi depuis avril 09 et qui court jusqu’à avril 2011. En fait, on faisait ça déjà mais de façon informelle et cette convention nous a permis d’être reconnus pour cette mission. » Dans ses ateliers sur la création de cv par exemple, elle accueille 12 personnes au maximum, ce qui lui permet de développer un rapport plus proche avec ses auditeurs. « Les outils et contenus du Pôle-emploi ? Ils me paraissent complètement inadaptés aux besoins de la population de Berthe : on aménage les documents pour les adapter à notre population. »
Seule femme de l’équipe, elle s’assume complètement mais regrette le manque de présence féminine dans l’espace. « Ben, oui, ici je suis la seule femme et il faut bien dire qu’il n’ y en a pas beaucoup dans la cyberbase même si c’est le jour et la nuit par rapport au départ » Pour elle, il faudrait un espace plus convivial, avec un petit salon, du café, un coin plus accueillant pour les faire venir…
Kais Tayari, chef de projet FEDER
Arrivé il y a 6 mois à la cyberbase, Kaîs est chef de projet FEDER (Fond Européen de développement régional) et monte un projet de plateforme web de recherche et d’offres d’emploi type Pôle Emploi. « Le site de Pôle Emploi n’est pas adapté à ceux qui maîtrisent peu l’outil informatique, l’idée est de faire un site plus simple, plus accessible et hyper-local »
Pour lui, les problèmes majeurs que rencontre la cyberbase actuellement sont ceux de la fidélisation des publics et l’image qu’elle renvoie: « Les gens viennent ici, tissent des liens mais ne font rien de plus en dehors. Ils fréquentent l’espace comme une administration, dans une logique one-shot »
La question de la mixité des publics est aussi une de ses préoccupations, « Il faut faire venir des gens du reste de la ville dans le quartier. A part les personnes envoyées par le Pôle Emploi, il n’ y a personne qui vient d’en dehors du quartier »
Mohamed Boumetloua, spécialisé dans les partenariats et les relations extérieures
Présent sur le quartier de Berthe depuis une dizaine d’années où il a travaillé comme animateur socio-culturel pour l’association Nelson Mandela, Mohamed est aussi animateur dans la cyberbase depuis son ouverture en 2007. Infographiste de formation, ce jeune homme enthousiaste, rêve d’une cyberbase comme d’un véritable centre de ressources où « l’on rentre pour une chose et on en ressort avec 10 »
Très impliqué dans la vie de Berthe, il pense la cyberbase comme une plateforme physique et virtuelle permettant de mettre en contact des personnes qui sans elle ne se seraient jamais rencontrés : entrepreneurs et chercheurs d’emplois, étudiants et personnes agées, hommes et femmes…
L’avenir de la cyberbase, il le voit comme une maison de services avec des formations en e-administration données par le Pôle emploi ou la Caf voire comme un véritable « centre de formation du numérique » Mohamed croit beaucoup dans une CBB-mobile « qui se déplace chez les gens » car il pense qu’il y aurait une « forte demande des publics captifs de leurs appartements comme les personnes agées, malades ou handicapées. »
Mohamed Bejaoui, figure emblématique de Berthe et animateur
« Momo » est une figure du quartier de Berthe. Dès 1998, c’est lui qui amene internet dans le quartier en créant un cybercafé. Il a parallèlement travaillé comme animateur spécialisé en informatique dans les écoles. Quand la cyberbase de Berthe a été créé, le choix de son recrutement s’est fait tout naturellement pour l’IFAPE.
« Les activités de la Cyberbase tournent surtout autour de l ’emploi et des retraités : on les initie à l’internet pour la recherche d’emploi, la création de boîtes mail etc , ou encore pour les retraités à la retouche photos ou la rédaction de billets. »
Pour Momo, l’accès à internet s’est globalement démocratisé. Aujourd’hui, les jeunes ont souvent un ordinateur à la maison mais c’est le problème des compétences et de l’utilisation du numérique qui se pose: « Les jeunes utilisent msn, youtube ou facebook mais lorsqu’ils doivent envoyer un cv par mail, ils sont largués car il ne savent pas créer un cv, certains même utilisent des adresses mail complêtement fantaisistes du type scarface@gmail.com »
La question des femmes et des NTIC est une question compliquée ici: « certaines (agées) ne savent ni lire ni écrire et avant de se servir du numérique, il faut d’abord leur apprendre à parler la langue » Elles ne sont pas pour autant exclues du dispositif: « on travaille avec les femmes…par ex, pour la retouche de photos, on travaille avec le centre social Nelson Mandela. On préfère aussi passer par des associations, comme Femmes dans la cité. » Pour Momo, il ne faut pas faire des femmes une marchandise du genre : « tiens on va faire des choses juste pour elles ! Faut pas faire de discrimination positive »
La richesse du matériau produit par les portraits va permettre à nos résidents de mettre en exergue les premières problématiques du lieu, points d’accords et de tensions et les différentes pistes de réflexions sur ce que pourrait être le futur d’une cyberbase. Au programme demain: Cartographie sociale des acteurs, représentation spatiale de la CBB de Berthe et mini-évènement avec présentation des premières observations.