François Jégou, SDS & La 27e Région, 21 mars 2012
Nous étions ce matin à l’Hôtel de Région Rhône-Alpes pour une première réunion de mise en place de la prochaine résidence qui explorera la question des achats durables. Autour de la table une discussion très vite animée autour d’un sujet qui pourrait paraître de prime abord un peu… aride ! Pourtant pas du tout, en tout cas pas en écoutant Christilla Dambricourt, Nadège Riotte, Lydiane Bonnet, Erik Clément-Rochiaz et Anaitis Mangeon de la Mission évaluation, prospective, Développement Durable Délégation Générale aux missions transversales et à la relation aux élus; Jean-Pierre Mercier, Valérie Dulac, Direction des Affaires Juridiques et de la Commande Publique, et Stéphanie Gressier, chargée de mission Développement Durable.
Quelles sont les attentes et les envies? D’abord une volonté de mettre en avant une politique d’achat durable. Éliane Giraud, Conseillère déléguée à l’administration générale et aux PNR présentait les orientations stratégiques sur la question des clauses sociales et environnementales dans les marchés de la Région: …une politique ‘achat’ de la Région 100% ‘globalement performante en développement durable’.
Au-delà d’introduire des critères de développement durable dans les procédures d’achat, l’objectif est de donner du sens à l’action régionale. Et c’est là que les achats durables deviennent particulièrement intéressants: les achats pratiqués par l’acteur public représentent un levier financier particulièrement important. Actionner ce levier vers le développement durable permet d’agir sur le tissu économique des fournisseurs en les incitant eux-mêmes à proposer des produits et services plus durables pour être éligibles. Il permet aussi d’influencer les modes de vie des citoyens eux-mêmes en leur proposant des services publics durables qui influencent leurs pratiques quotidiennes et transforment leurs habitudes. Tant et si bien que les achats publics durables sont souvent cités parmi les stratégies les plus prometteuses pour affronter l’épineuse question de la transformation des comportements des utilisateurs: les cantines durables sont certainement un des exemples les plus classiques – quoiqu’encore loin d’être généralisé: autour d’une assiette bio et de qualité il est aisé de développer une sensibilisation à la qualité organoleptique, à la culture culinaire, à la réduction de la nourriture non consommée et perdue, à la mise en place de modules didactiques ou de sensibilisation sur le terrain et in fine, à la diffusion d’une pratique d’alimentation durable au sein de la population…
Mais ce scénario qui semble couler de source est en pratique difficile à mettre en œuvre et ce, dès la mise en place d’achats durables au sein de la machine administrative. Le diable se cache comme toujours dans les détails et il ne suffit pas d’insérer des clauses toutes faites tirées d’un hypothétique code de la commande publique durable. Il faut constituer un ‘projet d’achat durable’. Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir le levier en main si l’on ne sait pas ce que l’on souhaite activer. Quelles sont les implications directes en termes de développement durable de l’achat de vêtements de travail? Les matériaux utilisés, les conditions de travail de ceux qui les ont assemblés, la longévité du vêtement, l’intensité de transport… C’est en quelque sorte une forme de « qualité durable négative’: celle que l’on ne peut (devrait) plus ne pas avoir dans une société responsable. Mais au-delà, indirectement, qu’est ce que l’on peut activer de plus que la durabilité du bien acheté et de sa fabrication? Favoriser des fournisseurs locaux plutôt que lointains sans pour autant faire du localisme juridiquement proscrit, des entreprises qui font preuve d’un comportement éthique et d’une politique sociale interne, une chaîne d’acteurs au sein de laquelle la transformation durable va se propager et diffuser dans le tissu économique local…
Et là apparaissent une série d’injonctions paradoxales: plus l’intention de l’achat est précise, plus le risque de déroger aux règles de bonne concurrence est important. Comment faire pour que les fournitures achetées ne viennent pas de Chine ou que le marché de maintenance informatique ne parte pas pour l’Inde ? Comment réduire l’intensité de transport sans biaiser le marché lui-même ? Comment stimuler la transition durable dans le tissu économique local sans entraver la libre concurrence ? Le code des marchés publics est un outil à mettre en œuvre pour tenter de résoudre ces paradoxes dans un subtil jeu de torsion qui respecte la limite d’élasticité de la législation…
Il s’agit donc bien de constituer un projet d’achat durable, d’explorer les implications directes, d’imaginer les stratégies indirectes à mettre en œuvre dans un souci de faisabilité technique et juridique, de les expérimenter avant de les lancer… Il y a matière à création dans ce projet pour concilier de manière créative les multiples impératifs en opposition. Il y a aussi matière à co-création entre les différentes compétences bien souvent toutes présentes au sein des différentes directions de la Région qui doivent collaborer pour mettre en œuvre ce projet d’achat… C’est ce que la résidence que nous nous proposons de mettre en œuvre dans les prochains mois se propose de faire: un projet d’achat durable. Et pour commencer, nous nous proposons de faire le projet d’un « faux achat »: un achat qui pourrait exister, que la Région pourrait être amenée à mettre en œuvre à l’avenir mais qui ne doit pas être lancé dans l’immédiat, pour prendre le temps de la collaboration, de la co-construction et explorer les modalités de mise en place d’un achat exemplaire. Les procédures d’achat public sont souvent longues. Concilier tous les impératifs d’un projet d’achat durable demande encore plus de temps, un temps que la collectivité territoriale n’a pas le temps de consacrer. Nous nous proposons donc de faire ensemble un faux projet d’achat durable en travaillant avec le groupe achat public durable déjà actif à la Région, en proposant à une partie de ses participants de rejoindre la résidence à des moments précis pour des ateliers ou des exercices de simulations.
Mais faire un ‘faux projet d’achat’ suppose de trouver un point d’application suffisamment réaliste et motivant pour toutes les parties prenantes, susceptible de créer un précédent auquel l’institution pourra se référer et une communauté de pratiques à laquelle les services pourront avoir recours pour développer de nouveaux achats. Après avoir passé plusieurs hypothèses en revue au cours de la matinée à la recherche d’un point d’application emblématique qui représente un défi ou au moins une difficulté récurrente susceptible d’intéresser la plupart des directions, le choix s’est porté sur l’achat de prestations intellectuelles : en quoi une étude, une AMO peut-elle être plus durable ? Et comment apprécier cette durabilité au travers d’une procédure de marché public ? Dans la majorité des cas, l’impact direct de la réalisation d’une prestation intellectuelle, transport excepté, n’est pas un facteur déterminant même s’il doit être pris en compte quand même. L’impact social direct est plus déterminant même s’il reste difficile à saisir : quelle est la politique sociale de l’entreprise en matière d’insertion, d’équité femmes-hommes, de politique salariale ou de réinvestissement des bénéfices, de recherche, de formation, de sous-traitance…? L’impact environnemental, social et économique indirect est en général plus déterminant mais encore plus mal aisé à saisir et à traduire sous la forme d’une grille de critères : les recommandations auxquelles l’étude aboutira sont-elles bien dans une perspective de développement durable? Comment le prestataire, en répondant à la question qui lui est posée, cherche-t–il à aider l’institution commanditaire à réduire son impact sur l’environnement, à régénérer le tissu social et à promouvoir une économie équitable? Le sujet est passionnant et la constitution d’un projet d’achat de prestations intellectuelles durable, par sa portée indirecte potentielle, complexe mais surtout multiple et étendue et par sa faculté de transformation systémique constitue un levier majeur vers une société durable. Il interroge la responsabilité sociétale, morale et éthique du conseil et des visions sous-jacentes qu’il porte. Il se promet donc bien de contribuer à renforcer le sens de l’action régionale à travers la manière dont les différentes directions conjuguent leurs compétences et collaborent pour explorer les manières de dérouler la co-construction d’un projet d’achat durable au cours des trois semaines de résidence qui se tiendront de juin à septembre au sein de la Région.
Les prochains mois seront consacrés à mettre en place cette résidence en termes pratiques: où installer la résidence dans l’immense Hôtel de Région pour qu’elle soit à la fois suffisamment proche du quotidien de chaque direction tout en restant dans une posture transversale et visible par tous: est-ce que l’on peut installer et mettre en scène ce chantier ‘achats durables’ physiquement dans l’atrium, près de l’entrée où passent toutes les populations qui passent à l’Hôtel de Région ? Quels sont les profils à rechercher pour l’équipe de résidents afin d’impliquer toutes les différentes compétences de la Région et les faire converger : de l’ethnologie et de la sociologie pour entendre et décrypter les mécanismes de fonctionnement actuels, du « design » pour construire les achats comme un projet créatif et participatif, une petite équipe pour faire bonne place aux agents de la Région, produire une posture de collaboration entre eux et s’insérer dans le groupe achat public durable déjà constitué ? Quels sont les précédents en matière d’achat durable et de prestations intellectuelles, les pratiques remarquables (prometteuses ou problématiques) à la Région, dans les collectivités territoriales avec lesquelles elle est en relation mais aussi ailleurs, en France, à l’étranger: pourrait-on organiser au sein de la première semaine de résidence une collecte de bons et de moins bons exemples en particulier sur les effets induits par les achats durables et les potentiels de transformation dans leur application au domaine des prestations intellectuelles ? Comment concevoir cet achat de manière participative en s’autorisant dans ce contexte fictif à expérimenter ? Comment utiliser au mieux le code des marchés publics comme un outil en collaboration avec un échantillon représentatif de prestataires et cabinets d’études externes de la Région? Et encore bien d’autres questions à débattre et à mettre au point d’ici juin pour affronter ce vrai sujet au cœur du fonctionnement de la machine administrative !