Mercredi 22 décembre 2010, nous voici à Wazemmes pour notre seconde journée de visites et de préparation de la résidence, qui débutera le 17 janvier prochain. D’emblée, certains éléments ressortent de nos entretiens. D’une part, les entrepreneurs sociaux et les bénévoles rencontrés sont actifs et passionnants. Cependant, ils dénoncent un manque de participation de la population. D’autre part, il existe une vie associative particulièrement riche et diversifiée, mais celle-ci est difficilement perceptible.
La grisaille et le froid hivernal nous poussent à écourter notre visite du quartier et à rejoindre au plus vite les lieux où nous avons rendez-vous. Au pied d’un groupe d’immeubles « napoléoniens » aux traditionnelles briques rouges, des enfants nous indiquent la petite entrée de l’association Générations et Cultures. Delphine nous reçoit. L’association organise des activités, dont le but est de « favoriser le rapprochement entre personnes de générations et de cultures différentes, dans le respect de leur identité individuelle et collective ». La transmission de la mémoire du quartier, la fabrication d’objets en matériaux de récupérations, des rencontres, des gardes partagées sont autant d’activités proposées. Delphine nous raconte avec ferveur la difficulté de mobiliser les gens sur le long terme et le bonheur, quand, finalement, « ça prend et ça marche ». Comment expliquer le manque de participation des habitants ? Il est dû en partie, nous explique-t-elle, à la place de l’animateur. Celui-ci est vu comme la personne à tout faire et favorise le désengagement. En outre, Wazemmes est construit en plusieurs cours, chacune commune à plusieurs immeubles et « les gens refusent de se croiser entre les cours ». Il y a aussi un renoncement face à la vie …
Latifa Labbas, a de l’énergie a revendre, malgré son implication au sein de plusieurs associations du quartier – dont celle des Fenêtres qui Parlent. Elle nous raconte le franc succès de la Tente des Glaneurs, une initiative récente à laquelle elle a pris part. À la fin du marché de Wazemmes, la Tente distribue les invendus des commerçants aux personnes dans le besoin. Des légumes et des fruits, encore consommables et présentables, sont donnés dans de jolis cabas. Pas question d’oublier le principe de dignité !
Cette initiative apparaît comme « une bonne nouvelle sociale » en tous points. Elle permet de réduire le gaspillage de la nourriture et le travail des équipes de nettoyage à la fin du marché. D’autre part, dès la genèse du projet, elle engage certains commerçants et d’autres associations aux contacts avec les bénéficiaires de l’opération. Aussi, elle poussent d’autres commerçants, étrangers au projet, a donner eux aussi leurs marchandises non vendues de manière spontanée. Un boulanger est venu offrir son pain. Enfin, l’initiative vient en aide à des catégories sociales, qui ne se croisent pas forcément au quotidien : étudiants, chômeurs, sans domiciles fixes, mères de familles nombreuses …
Cette initiative semble porteuse de sens pour nous, puisqu’elle apporte une proposition d’action « légère » dans l’espace public. N’est-ce pas une manière d’interroger l’usage de l’espace public du marché, en répondant ici à des objectifs de solidarité ? Notre intervention se situe peut-être là, au sein d’espaces urbains existants, qui nécessitent d’être « réactivés », « réinterrogés », « mis en forme » avec la participation de la population concernée. Les courées, les cours, le marché, les façades, les jardins communautaires, le parvis de la Maison Folie, ne contiennent-ils pas un potentiel d’innovation sociale ?
Nous sommes maintenant dans les locaux de Magdala, dans un bâtiment en briques, dont les façades imposantes ne laissent rien paraître, à première vue, de la singulière activité qu’il s’y déroulent. Magdala est une communauté d’église qui vient en aide aux plus pauvres et oeuvre à leur « re-construction ». Elle rassemble, depuis 1986, « des familles du Quart-Monde, des personnes à la rue, en squat, des sortant(e)s de prison ». Certaines personnes y résident, d’autres y viennent uniquement pendant la journée pour participer aux ateliers : repas, création plastique, poterie, théâtre … La philosophie de l’association est basée sur la participation de chacun et la discussion collective. Les problématiques de l’espace urbain concernent pleinement les membres de l’association, nous explique Pascal, un des bénévole : « les gens dans la rue sont très sensibles à ce qui est visible, à ce qui est physique. ». Magdala a déjà travaillé sur la qualité des espace publics avec ses voisins, notamment avec les propriétaires du kebab de la rue, qui versaient de l’huile de cuisson sur le trottoir. L’espace public est, en autre, « une question de voisinage ».
Revenons à la problématique de la résidence. Les manières de « co-habiter » au sein de l’espace public de Wazemmes représente une piste intéressante, dont nous parlons depuis le début et dont il faut préciser les contours.
La question de la qualité de cet « espace public» est redondante : désir de propreté et de beauté des rues, de mixité sociale, de bonnes relations sociales et de liens de voisinages, d’espace agréables où flâner, débattre, lire …
La pérennité du « mieux vivre » ensemble est apparu aussi à plusieurs reprises : les événements fédérateurs sont nombreux et efficaces, mais ne durent pas. En effet, l’espace public est d’ores et déjà investi souvent de manière évènementielle. Parmi d’autres, on peut citer « Les Fenêtres qui Parlent », les « Balcons Fleuris », le festival de la soupe, le festival d’accordéon, de Hip-hop.
L’espace public semble également occupé par des événements de la vie quotidienne, comme le marché, figure incontournable du quartier.
Notre réflexion autour de l’espace public à Wazemmes ne semble donc pas s’orienter vers des événements fédérateurs déjà existants, mais sur l’implication des habitants au quotidien. Notre regard se tournera vers des initiatives locales, réalisées par des habitants et/ou des associations. Nous entendons par « initiatives locales », des actions à valeur sociale, qui inventent et mettent en place des nouveaux modes de vies durables. Elles sont souvent méconnues, anonymes et dispersées : collaborations de voisinage, réseaux d’échanges de services, réappropriation des espaces publics, circuits alimentaires courts, mobilité alternative… Nous faisons le pari que ces initiatives tissent un réseau d’actions d’une grande richesse, particulièrement adapté aux besoins et aux modes de vie des habitants. Des initiatives dont les acteurs publiques ont tout intérêt à prendre en considérations pour leur futurs projets.